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POUR NE PAS PERDRE PAS LE FIL...

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Dans cet espace, nous vous proposons de nous partager vos expériences autour

des Pratiques Narratives et vos sources d'inspiration personnelles 

 

Citations, lectures, films, musiques, photos, expositions, ... 

 

Un espace que nous actualiserons régulièrement, au gré de vos sollicitations.

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Chiche ?​

Ecrivez-nous à contact@pratiquesnarratives.com​

« Le cœur brisé de M. Johnson K. »

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LES PRATIQUES NARRATIVES

EN THÉRAPIE TRANSCULTURELLE

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Un article de Corine Zongo-Wable et Yasmine Shehata

Co-thérapeutes de l’équipe TRIVIA

Juin 2024

pratiques narratives en thérapie trnsculturelle.jpeg

« Entraide » sculpture de Mohamed KEITA

Présentation du dispositif transculturel TRIVIA

 

      Notre équipe formée à l’ethnopsychiatrie, composée de deux psychologues cliniciennes et d’une anthropologue, propose des consultations transculturelles dans le département de l’Oise.

 

Tout collectif thérapeutique transculturelle repose sur la diversité d’origine des thérapeutes (dans notre cas ; Turquie, Égypte, Île de la Réunion, Burkina Faso et France), et est également composé d’interprètes, de médiateurs transculturels maîtrisant la langue des patients. Par ailleurs, notre dispositif groupal et métissé, de formation psychanalytique, fait appel à d’autres outils : EMDR, systémie, pratiques narratives, thérapie des schémas, etc. La présence de co-thérapeutes disposés en cercle renvoie à une modalité traditionnelle de soin au sein de différentes cultures et fait ainsi écho aux étiologies culturelles des patients. Ainsi, au fil des séances, s’élabore une travail introspectif et immersif lié à leur propre culture, et par continuum, à leur identité.

 

Notre public se compose de personnes migrantes dans diverses situations : primo arrivants, migrants installés depuis quelques années sur le territoire français, ou encore descendants de migrants nés en France, issus d’une ou de plusieurs générations. Le point commun reste d’avoir vécu la migration dans leur parcours de vie, ou bien au sein de leur histoire familiale.

 

Notre équipe intervient « en deuxième intention », c’est-à-dire que le public que l’on reçoit dispose déjà d’un suivi psychologique ou psychiatrique. En effet, les patients sont orientés par différents services : hôpital, maternité, PMI, Aide sociale à l’Enfance, etc. Cette deuxième intention trouve son explication dans le besoin de travailler avec des sujets étants en capacité d’élaborer un récit. C’est pour cette raison qu’il y a nécessité d’avoir une certaine stabilité psychique et donc ne pas être en pleine décompensation.

 

Cette notion de récit reste centrale dans l’approche transculturelle, et les pratiques narratives peuvent venir soutenir la thérapie. En outre, comment raconter le trauma, la trajectoire migratoire, la souffrance ? Comment expliquer à une équipe française les djinns, les malédictions ?

 

Pour nous, raconter « l’avant » est la première étape d’un échafaudage narratif. Nous ne demandons jamais à obtenir des éléments culturels ou le récit d’un traumatisme lors des premières séances. En revanche, nous laissons le patient choisir ce qu’il souhaite aborder. Nous partons d’un premier récit - celui de l’anamnèse transmise par le référent qui l’a orienté - et demandons au sujet ce qu’il en comprend. Le sens, toujours le sens. Puis viennent les premiers mots, une situation. Ainsi, les pratiques narratives peuvent ici constituer un apport éclairant.

 

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Contexte

 

M. Johnson K., originaire du Nigéria, est hébergé dans un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile). M.K a été débouté du droit d’asile et a engagé un recours auprès de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). La psychologue du CADA nous oriente M.K pour une prise en charge en thérapie transculturelle. D’autre part, M.K. est également accompagné par une psychiatre de l’hôpital et suit un traitement à base d’anti-dépresseurs et d’anxiolytiques. Sa psychiatre semble inquiète, M.K. tiens des propos suicidaires avec une construction scénarisée.

Nous connaissons l’événement traumatique qui l’a amené à fuir son pays. Homosexuel marié et père de famille, sa femme l’a surpris au domicile avec son amant et a crié au scandale auprès des voisins et de la famille. L’amant de M.K. a été lynché et assassiné sous ses yeux. Il est parvenu à s’enfuir et est arrivé en France il y a moins d’un an. Les images traumatiques du meurtre le hantent. Il fait état d’un choc post-traumatique. Par ailleurs, M.K. nous confie avoir eu le sentiment d’avoir tout perdu ce jour-là. Il sait qu’il ne pourra jamais retourner au Nigéria ni revoir ses jumelles de 4 ans car il a été banni et rejeté par ses proches. En effet, l’homosexualité y demeure culturellement inacceptable et condamnable.

 

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1ère séance.

 

Nous accueillons M.K. dans le bureau de son assistante sociale du CADA. Notre interprète en anglais du Nigéria se place à ses côtés. M.K. apparaît très fragile, habillé de noir, tête baissée.

 

Thérapeute 1: « qu’est-ce qui vous semble important de partager avec nous aujourd’hui ? »

 

M.K. : « Je n’ai plus envie de vivre. J’ai constamment des flashes dans ma tête sur ce qui s’est passé à Lagos »

 

Thérapeute 2: « Vous pouvez nous parler de ces images qui persistent ? »

 

M.K. : « My lover » (que nous traduirons par « mon amoureux », terme qu’il adopteras car il le reprendra plusieurs fois durant la consultation) a été tué et j’en suis responsable. Jamais je n’aurais dû l’emmener chez moi, c’était trop risqué. Je ressens une énorme culpabilité, et de la honte d’avoir infligé tout cela à ma famille, à ma femme et à mes enfants ».

 

Thérapeute 2 : « Quand ces flashes arrivent, que se passe-t-il pour vous ? »

 

M.K. : « j’ai fait plusieurs attaques de panique et j’ai cru mourir. J’ai été admis en cardiologie pour un bilan mais rien n’a été détecté. Je crois que mon cœur s’est brisé. »

 

Le syndrome du cœur brisé existe en médecine, il se nomme également « Tako-tsubo » en japonais, ce qui signifie « piège à poulpe ».Il se manifeste par des symptômes proches de l’infarctus. Le cœur se met en état de sidération face à un événement ou une angoisse envahissante. Sous l'effet d’une libération massive d’hormones de stress, une partie du cœur peut ne plus se contracter.

Plutôt que de raconter ce trauma encore une fois, nous choisissons d’utiliser les pratiques narratives : la conversation pour les situations traumatisantes et la double écoute. L’image du cœur brisé sert de point de départ à cet échange.

 

Thérapeute 1: « Comment battait votre cœur avant le meurtre de votre lover ? »

 

M.K. : « Avant, mon cœur était rempli d’amour, j’avais l’espoir que notre relation resterait secrète. »

 

Nous lui proposons de dessiner sur notre tablette graphique son cœur avant l’assassinat.

Il choisit la couleur rouge.

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Thérapeute 1 : « Ces valeurs dans votre cœur ont-elles disparu ? »

 

M.K. « Je ne sais pas, mais aujourd’hui, mon cœur est brisé et noir »

 

Il dessine ce cœur abîmé, fractionné en plusieurs morceaux, celui d’après le meurtre.

 

Thérapeute 2 : « Pouvez-vous nommer les différents morceaux de votre cœur ? »

 

M.K. liste les parties de son nouveau cœur, nous légendons son dessin sur notre tablette graphique.

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Thérapeute 1: « Est-ce qu’une partie de votre cœur vous semble plus douloureuse qu’une autre ? »

 

M.K : « Tout est si sombre, le vide et la souffrance demeurent … »

 

Nous choisissons de ne pas réactiver plus profondément le trauma de M.K.

 

Thérapeute 1 : « Peut-on revenir sur le cœur rouge et voir avec vous si vous pensez possible de retrouver un cœur aussi beau, palpitant ? »

M.K : « Je ne pense pas. Comment ce serait possible ? ».

 

Nous l’aidons alors à révéler ses compétences :

 

Thérapeute 1: « Si vous êtes capable de tout cela, d’avoir eu le courage de fuir, la capacité d’avoir « un grand cœur », votre cœur pourrait rebattre à nouveau, certainement différemment. Pouvez-vous nous dessiner ce cœur imaginaire ? »

 

M.K dessine ce nouveau cœur « possible » « reconstitué » en thérapie, « a new heart ».

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Thérapeute 2 : « Quels sont les mots qui viennent spontanément pour ce new heart ? »

 

Les mots qui font battre ce nouveau cœur, même s’il reste noir, parlent d’adaptation et d’acceptation. Nous lui assurons que le processus thérapeutique, certes lent, ira dans ce sens et que ce nouveau cœur si précieux pour lui, l’est également pour nous.

 

M.K : « c’est donc possible de vivre ? Je ne le pensais pas »

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Thérapeute 1 : « Nous avons d’autres patients qui ont connu de graves traumatismes, aujourd’hui ils vont mieux, ils ont repris une vie plus apaisée. »

 

M.K. semble soulagé. Depuis le début de sa prise en charge en France, il a pu bénéficier d’un soutien très contenant de la part des différents intervenants.

Nous l‘encourageons donc à poursuivre son traitement et lui donnons un autre rendez-vous.

Nous avons rédigé un courrier pour soutenir son recours auprès de la CNDA, car nous savons que dans certaines situations, cela peut influer sur la décision du jury.

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D’un point de vue thérapeutique, la double écoute a permis à M.K. de sortir du récit traumatique pour en élaborer un autre, alternatif, préférable et susceptible de se modifier en fonction des résultats de son recours auprès de la CNDA et du suivi psychologique.

Nous savons la situation très fragile et tentons avec tous ses référents (sociaux et psychiatriques) de contenir autant que possible M.K.

La double écoute ne « guérit » pas le trauma, il faut rester extrêmement prudent, mais elle permet aux thérapeutes et au patient de sortir de la boucle traumatique et d’emprunter d’autres chemins.

 

 

2ème séance - 3 semaines plus tard

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Une seule thérapeute est présente et fera également office d’interprète durant cette séance, faute de disponibilité.

Pour commencer, M.K. s’installe en souriant dans le bureau de son assistante sociale, vêtu d’un pantalon rouge, d’un tee-shirt noir et d’une veste beige.

 

Thérapeute : « Quel plaisir de vous voir sourire, que s’est-il passé ces dernières semaines ? »

 

M.K : « J’ai obtenu l’asile, j’ai une carte de résident de 10 ans. »

 

Thérapeute : « Formidable ! Je suis très heureuse pour vous. Vous pouvez-me raconter comment vous avez appris la nouvelle ? »

 

M.K. : « Je me sens très reconnaissant envers vous, la France qui m’a accueillie, mon assistante sociale, et enfin envers mon avocat. C’est lui qui m’a appris la nouvelle. J’écoutais ce qu’il me disait, mais c’est comme si je ne comprenais pas vraiment »

 

Thérapeute : « Vous étiez sidéré par cette réponse positive ? »

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M.K. « Oui, et je suis un peu perdu maintenant, que va-t-il se passer ? »

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Thérapeute : « Vous vous souvenez que lors de notre première séance nous évoquions la possibilité d’un nouveau chemin ? Vous y êtes et nous allons réfléchir ensemble à comment vous accompagner au mieux. Comment vous voyez cela ? »

 

M.K : « Étape par étape, d’abord apprendre le français, reprendre mes études pour devenir ingénieur en cyber sécurité. J’étais ingénieur à Lagos et j’avais aussi un salon de coiffure mixte. »

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Nous rions de cette double profession qui lui paraît peu conciliable en France.

 

Thérapeute : « Dans cette progression que vous imaginez pour vous, sur quelle aide extérieure pouvez-vous compter ? »

 

M.K : « My maker » - je lui demande de répéter ce mot, veut-il parler de Dieu ? -

« Oui Dieu, je prie tous les jours. J’en ai besoin, cela m’aide beaucoup. Lui, pardonne. »

 

Thérapeute : « Vous pensez avoir besoin d’être pardonné ? »

 

M.K : « Oui, quand je repense à tout ce que j’ai fait, la culpabilité est immense »

 

Thérapeute : « Nous aurons l’occasion de revenir sur la honte et la culpabilité. Pour le moment, peut-être que vous réjouir de la bonne nouvelle constitue une première étape ? »

 

M.K : « oui, mais j’ai un peu peur de la suite »

 

Thérapeute : « Souvent lorsque l’on a beaucoup lutté pour obtenir comme vous un statut, des papiers, il arrive que l’on puisse ressentir un sentiment de vide, et c’est un processus normal. Ensuite je vous propose de considérer que le chemin vers l’acceptation du meurtre de votre amoureux (vous parliez d’acceptation quand vous avez dessiné votre nouveau cœur) vous autorise malgré tout à passer par la colère par exemple ou tout autre sentiment. Il vous arrive de ressentir cela ? »

 

M.K : « Très souvent, je sens la colère qui monte et me submerge. »

 

Thérapeute : « De quelle couleur serait cette colère ?

 

M.K : « rouge »

 

Thérapeute : « On peut tenter de changer cette couleur et voir ce que cela donne ? Vous êtes d’accord ? »

 

M.K : « ok »

 

Thérapeute : « Vous pouvez fermer les yeux ou les garder ouverts comme vous le souhaitez. (Il ferme les yeux).

Laissez monter votre colère et décrivez moi ce que vous ressentez. Elle s’est installée à quel endroit de votre corps ? »

 

M.K : « Partout, dans ma poitrine surtout, cela devient noir »

 

Thérapeute : « Très bien. Vous allez choisir une couleur que vous aimez particulièrement »

 

M.K : « le vert, un vert clair et le violet »

 

Thérapeute : « Respirez calmement et laissez cette couleur verte, violette s’installer en vous. Que ressentez-vous ?"

 

M.K : « Je ne ressens que le noir, un peu de vert »

 

Thérapeute : « En respirant profondément, tranquillement, faites venir cette couleur verte en vous. Des pieds remontez dans les cuisses, le ventre, la poitrine, jusqu’au sommet du crâne, laissez faire cette couleur verte, que vous avez choisie »

 

Après quelques minutes je lui demande d’ouvrir les yeux. Il dit avoir ressenti du bien-être dans tout son corps pour la première fois depuis longtemps et surtout sans médicament.

Je lui explique qu’il pourra répéter cet exercice et activer la couleur verte quand il en ressentira le besoin. Je lui parle également de la cohérence cardiaque.

 

M.K : « Donc on peut agir sur son cœur ? »

 

Thérapeute : « Oui, vous pouvez le calmer »

 

M.K : « Je vais le faire, c’est sûr »

 

Thérapeute : « Continuez votre traitement donné par la psychiatre et pratiquez ce que nous venons de faire ensemble »

 

M.K « Oui, on se revoit quand ? »

 

Thérapeute : « Dans trois semaines »

 

Au vu de l’implication de M.K. concernant la relation avec son cœur, les investigations médicales en cardiologie, il m’a semblé intéressant de lui donner la possibilité de reprendre la main, de redevenir acteur de son propre système cardiaque. Des exercices de cohérence cardiaque et la technique VAKOG peuvent également venir nourrir une séance en thérapie transculturelle.

La réparation du cœur de M.K. prend forme.

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Corine Zongo-Wable et Yasmine Shehata

Co-thérapeutes de l’équipe TRIVIA

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Thérapie narrative
approche narrative et thérapie transculturelle
nouveau coeur de Mr K. approche narrative

Construire sa boussole pour les transformations agiles

boussole narrative

1. Pour quelles raisons se doter d'une boussole pour accompagner les personnes ?

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Dans un monde de plus en plus VUCA (Volatile Incertain Complexe Ambigu), il paraît utopique de vouloir accompagner une transformation ou un changement en appliquant un mode de fonctionnement précis qui fonctionnera dans tous les cas. Les mêmes actions, processus, causes ne généreront pas les mêmes résultats. Un même mode de fonctionnement "agile" fonctionnera dans certains contextes et pas dans d'autres, … Chaque chemin est unique et vouloir utiliser le même chemin que son voisin amène à "simplifier" la transformation et risque d'apporter de nombreuses déceptions, comme c'est le cas avec l'agile.

En tant que coach agile ou Scrum Master, en tant qu'accompagnateur d'une transformation, ou même en tant que mentor, vous ajustez votre accompagnement à un contexte mouvant, mais aussi à des besoins qui se précisent au fur et à mesure, à des personnes qui évoluent à des rythmes qui leur sont personnels. Pour vous, l'adaptation est de rigueur. Un des risques alors c'est qu'à force de vous adapter, vous pouvez avoir le sentiment d'être submergé et ne plus savoir où donner de la tête, à certains moments vous vous retrouvez perdu dans la complexité, il y a tellement de choses possibles à faire ! Quelle est "La bonne chose à faire" et dans quelle voie devez-vous aller ?

Une des premières choses qui m'apparaît importante est d'avoir un cap, une direction, un objectif qui doit être éclairci. Ensuite il faut savoir que le meilleur chemin pour l'atteindre est rarement la ligne droite (même si c'est le chemin le plus court en distance, voire le plus évident) … cette ligne droite pourrait en effet être le plus long chemin en durée. Si je prends la métaphore du bateau, l'équipage va dans certains contextes tirer des bords pour avancer vers l'objectif, … ou utiliser une boussole pour ne pas se perdre. Finalement il se pourrait qu'il n'y ait pas "une bonne chose à faire" mais plutôt de multiples choses qui peuvent être adéquates et notre boussole nous permettra d'avancer en nous assurant de garder le cap vers l'objectif.

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2. Une boussole issue des Pratiques Narratives

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En octobre 2019, lors d'un séminaire avec des collègues coachs, nous avons travaillé sur une boussole que nous pouvons utiliser lors de nos coachings (puisque là aussi nous accompagnons des personnes qui évoluent, se transforment dans des contextes potentiellement VUCA). Cette boussole est issue de nos connaissances de coachs, plus particulièrement en lien avec l'approche des "Pratiques Narratives". J'ai eu envie de vous partager la façon dont je l'utilise pour accompagner des personnes dans les transformations. Vous pourriez vous en inspirer (… ou pas) pour créer la vôtre quand vous accompagnez une personne ou une équipe.

Il s'agit de garder en tête les 4 directions et de choisir la direction dans laquelle nous posons la question, c’est-à-dire d’être conscient de l’intention de notre question. Il n'y a pas de "bon" ordre, plutôt une navigation en conscience dans les différentes directions, … en choisissant ce qui nous paraît opportun à un moment donné, au vu de la personne accompagnée, de son contexte et de l'objectif. Vous verrez également que certaines questions sont en lien avec plusieurs directions (on part vers le "nord-est par exemple").

Les directions que nous avons listées sont l'action, l'identité, la relation, l'émotion.

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Souvenez-vous que vous accompagnez des personnes, les questions ci-dessous nécessitent un cadre de confiance adéquat,

voire de la confidentialité sur les réponses apportées.

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Action

En tant qu'accompagnant je peux questionner :

  • Les actions passées (quand as-tu déjà fait cela, ne serait-ce qu'un tout petit peu ?) : la personne peut ainsi prendre conscience de ce qu'elle a déjà fait ; elle peut réaliser que ce qui lui paraît difficile aujourd'hui, elle l'a déjà fait dans un autre contexte et qu'elle va pouvoir s'appuyer dessus et transposer des éléments à son contexte actuel ; ce qui paraissait insurmontable devient réaliste.

  • Les actions présentes (que fais-tu ? dans quel chemin commences-tu à t'engager ?) : je commence souvent par cette direction, pour mettre en lumière ce que vit la personne. Ceci peut être également aidant pour responsabiliser une équipe / une personne, l'engager, rendre explicite des comportements dont personne ne parle mais que tout le monde connait. Par exemple : quand tu te tais pendant la rétrospective, qu'est-ce que tu es en train de taire ? c'est quoi le message que tu te dis (dans ta tête) et que tu pourrais exprimer ? Ceci peut également permettre de réaliser que quelque chose est en train d'être fait, que cela existe même si pour le moment cela paraît anodin.

  • Les actions futures (que pourrais-je te voir faire ? quel prochain petit pas vas-tu faire?): ceci permet tout simplement à la personne de mettre le pied à l'étrier, de la pousser à l'action.

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Identité

  • Cette direction va permettre de mettre les éléments en perspective de ce qui est important pour la personne, pour l'équipe ; elle va apporter du sens (le "sens" dont on parle tant actuellement).

  • Prenons l'exemple d'un comportement qui est mal perçu par quelques membres d'une équipe. Au lieu de voir ce comportement uniquement de façon négative, cherchons le message sous-jacent qui est important et qui n'a pas encore été exprimé ; qu'est-ce que ce message peut apporter à la personne et à l'équipe comme nouvelle vision ? Voici quelques exemples de questions :

  • Pour la personne : quand tu fais cela, quelle est ton intention ? quelles sont les valeurs que tu as envie de mettre en avant ? quel type d'acteur as-tu envie d'être ? quand tu fais cela, en quoi est-ce cohérent avec tes espoirs, tes rêves ?

  • Pour les autres : à votre avis, quand la personne fait cela, qu'est-ce que cela dit de ce qui est important pour elle ? en lien avec son comportement, quelles sont les qualités qui appartiennent à cette personne ? en quoi cela peut être un atout pour l'équipe et du coup quelle équipe êtes-vous quand vous le prenez en considération ?

 

 

Relation

 

Nous vivons, travaillons en relation avec des personnes. Ces relations peuvent être aidantes, gênantes, neutres, … (il s'agit bien des relations que nous qualifions et non pas des personnes ;-) ). Peut-être même oublions-nous certaines personnes ou groupes de personnes ?

Ces personnes en interaction avec des influences mutuelles, avec des "frontières" plus ou moins clairement définies, forment ce que l'on appelle des systèmes (la squad X, la tribu Y, …). Aujourd'hui nous entendons de plus en plus parler de "systèmes" et nous les prenons en considération, ce qui me paraît utile dans un monde de plus en plus complexe.

Quand j'accompagne une personne / des équipes, ont-elles conscience des relations qu'elles entretiennent avec les différents systèmes et des jeux d'influence? Et d'ailleurs moi-même, en tant qu'accompagnant, comment est-ce que je me situe ?

Quelques exemples de questions (que je peux poser à moi-même ou aux autres) avec les intentions liées :

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  • A quelles "relations" je porte attention, à quels types d'entité j'accorde de l'importance ?

  1. Quels sont les collectifs que j'adresse ? Ce peut-être l'entreprise ou une direction avec qui je travaille, une équipe. Ici, je considère bien les systèmes (qui sont plus que la somme de leurs individus) et non les personnes de façon individuelle.

  2. Avec quelles personnes je travaille individuellement ? Est-ce que je porte plus d'attention à certains types de personnes que d'autres (par exemple la hiérarchie, ou ceux que je pense en difficulté) et cela est-il pertinent ?

  3. Moi-même : est-ce que je prends soin de moi ou ai-je tendance à me concentrer uniquement sur les autres ?

  4. Une représentation sous forme de schéma (cartographie des parties prenantes, sociogramme) peut être aidante pour réaliser les relations que nous avons, en quoi elles peuvent être adaptées à un moment donné, … ou ne plus l'être, en quoi il serait pertinent de les ajuster pour faciliter l'atteinte de son objectif. Il reste aussi à identifier si certains collectifs ou certaines personnes sont oubliées ?

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  • Certaines relations peuvent être inspirantes et nous aider à trouver la façon dont nous pourrions nous comporter, quand nous ne savons pas comment faire. Il peut s'agir de personnes réelles (que nous connaissons personnellement ou non) ou imaginaires (personnages de bandes dessinées, …). Certains les appellent des héros. Voici des exemples de questions : quel personne ou personnage connais-tu qui saurait faire ce que tu aimerais faire ? comment s'y prendrait-il ?

  • Pour relier la personne à d'autres personnes qui croient en elle : qui ne serait pas étonné de voir que tu as réussi à atteindre l'objectif dont tu me parles ? quelles sont les raisons qui font que cette personne ne serait pas étonnée ?

  • Il peut s'agir de nommer les choses pour les faire exister : comment tu qualifierais les liens que tu aimerais avoir avec cette équipe ? avec qui as-tu déjà des relations transparentes et sereines ?

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Émotion

Pour accompagner les personnes dans une transformation, il me paraît primordial de leur permettre d'entrer en contact avec leurs émotions et ressentis, pour savoir si la direction qu'ils empruntent est pertinente pour eux ou s'il est préférable qu'ils empruntent un autre chemin.

  • Quand je ressens une émotion agréable, mon "moi" est en train de me dire "ce que tu vis est sympa, il pourrait être utile que tu continues à vivre cela", … mais quel est ce "cela", quelle est cette situation qui me convient ? En ai-je conscience ?

  • Quand je ressens une émotion désagréable, mon "moi" est en train de m'envoyer un signal d'alarme pour me dire "ce que tu vis ne te convient pas, fais attention, ce serait bien que quelque chose change". Là aussi, ai-je conscience de ce que cela pourrait être ?

 

Oserai-je dire que les émotions et ressentis sont de superbes KPI (Key Performance Indicators) ! Utilisons-les :-)

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Voici quelques exemples de questions :

 

  • Quand tu te projettes dans cette situation future (par exemple animer la sprint review), comment te sens-tu ? qu'est-ce qu'il faudrait pour que ce soit plus agréable / stimulant / … ?

  • Quand tu as peur de décider, quelle est la partie de toi qui a peur ? de quoi dois-tu prendre soin ? quel est le besoin qui voudrait être satisfait ? comment pourrais-tu faire ?

  • Quelle tonalité as-tu envie de donner à cette réunion que tu vas animer (dynamique, conviviale, grave, importante, …) ? montre-moi comment tu incarnes ce dynamisme (ou cette convivialité, …) ?

  • Tu avais l'air très content de ce que tu as fait ce matin en réunion, tu peux me raconter ? c'était quoi ton ressenti ? (… puis j'aurais envie de rebondir sur une question liée à l'identité, en quoi c'est important pour toi ?)

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Merci aux personnes ci-dessus pour le travail fait ensemble pendant ce séminaire et pour avoir mis au point cette boussole : Bénédicte Baches, Florence de Saint Roman, Anny Regnaud, Laurence Margeat, Isabelle Levasseur et Philippe Martin. Merci aussi à Michel, notre hôte. Et merci à Isabelle Laplante et Nicolas de Beer qui nous ont formés sur les Pratiques Narratives il y a bien des années.

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3. Un autre type de boussole

Et vous, avez-vous une boussole ?

Pour donner un autre exemple, très éloigné du premier : avec sa version 7 du PMBOK, le PMI propose 12 principes. Je me dis qu'on peut les voir comme des axes d'une boussole. Pour avoir une vision plus synthétique, sans perdre la richesse de ces 12 éléments, j'aurais envie pour le moment de les regrouper de la façon suivante, en 4 quadrants :

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Et vous, avez-vous une boussole ? Pourriez-vous la partager en commentaire ?

Si vous n'en avez pas encore une, quelles sont les directions qui sont importantes pour vous et qui vous permettent de vous diriger quand la situation se complexifie.

Sinon peut-être qu'une des questions de cet article vous a plus particulièrement marquée, pourriez-vous la partager en commentaire ?

Au plaisir d'échanger avec vous sur ce sujet, pour accompagner les personnes et les transformations de façon plus efficace et plus sereine pour tous.

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Aurore Jung 

Coach professionnelle, mentor en management de projet

Certifiée Coach Praticien Senior, PMP® (Project Management Professional), Professional Scrum Master 1 (PSM1)

questionnement narratif
Boussole narrative
Questions narratives
coaching se diriger

Récits de la crise COVID

et cérémonie de la reconnaissance à l’hôpital public

 

Mi-mai 2020, la France se dé confine, le pic de crise de la COVID 19 à laquelle les personnels des hôpitaux parisiens de l’AP-HP ont dû faire face est derrière nous. Le DRH d’un grand groupe hospitalier nous sollicite (DRH du siège) pour les aider à mettre en place un dispositif d’écoute tourné vers les soignants pour garder une trace des expériences vécues pendant la crise, et surtout pour leur donner de la reconnaissance.

Nous y voyons un terrain idéal pour monter un dispositif qui donne la parole aux professionnels de terrain en s’appuyant sur les principes des pratiques narratives (développées en Australie et en Nouvelle Zélande dans les années 1990/2000 par Michael White et David Epston) : écouter les récits individuels, partager une histoire collective, inviter des témoins extérieurs, faire des re-narrations, écrire une documentation, préparer une cérémonie définitionnelle avec pour fil rouge la reconnaissance des professionnels concernés. . Nous nommons la démarche « Témoignages des réussites collectives pendant la crise, les histoires extra – ordinaires de la crise du Covid 19 ». 

 

D’expérience nous savons la difficulté à « sortir les soignants » de leur poste de travail, l’intensité de l’effort qu’ils ont fourni, l’épuisement, mais aussi la pudeur et même l’impossible partage du vécu de la crise. Notre dispositif doit être rythmé et chaque séquence doit leur faire du bien, et produire une forme de reconnaissance. Nous sommes les premiers témoins extérieurs de leurs histoires.

Nous posons les bases du volontariat, de la production d’une documentation (texte, frise, arbre, audio, vidéo…), de la composition d’un groupe mixte intégrant soignants, cadres, médecins ayant comme lien une histoire de travail commun pendant la crise, ainsi que l’idée de la cérémonie définitionnelle devant des témoins en fin de démarche pour amplifier, faire résonner les témoignages. 

Le groupe est issu de l’hôpital Beaujon situé à Clichy, de la réa Sergent, du nom d’un bâtiment destiné à la démolition, qui a été aménagé pour accueillir en réanimation l’exceptionnel afflux de patients. Tous volontaires, ils ont des métiers différents : un médecin réanimateur, plusieurs aides-soignantes, infirmier(e)s, des cadres de santé, un agent de la logistique, ils ont été réquisitionné et se sont coordonnés pour faire face au nombre de malades et à la gravité de leur état dans un contexte d’urgence permanente et inédite. 

 

Notre dispositif se structure en 3 temps : 

Séquence 1 : Des entretiens à 3. L’essentiel de la méthode consiste à proposer un guide d’entretien et à définir les rôles : un narrateur, un intervieweur, et un témoin qui prend des notes. Les rôles sont tournants et l’intimité du trinôme permet à chacun son tour de s’exprimer sur les moments forts et les épreuves, et les ressources intérieures et les soutiens, d’être écouté avec beaucoup d’attention et de partager d’émotion, de commencer à documenter… 

A l’issue de cette séquence nous rédigeons le texte ci-dessous en reprenant certains de leurs mots écrits, et entendus, pour garder les fines traces des histoires de cette l’équipe face à la détresse des patients et des familles. Ce texte n’a eu de cesse d’évoluer, d’être épaissi au fil de leurs récits.

 

 

 

On l’a fait ensemble

Réquisition par SMS, attente, tension intérieure, stress, angoisse.

Peur, peur de l’inconnu, peur de l’échec, peur de la contamination,

La pression, ne pas en dormir de la nuit, en pleurer sur son vélo.

Ne pas s’attacher aux patients. Rester humain.

Est-ce qu’on va en être capable ? Est-ce qu’on va s’entendre ? Est-ce qu’on va résister ?

L’ouverture de Sergent, le montage. Ça y est on s’organise. Les protocoles, les réunions.

Le choc :

Le nombre de malades, leur état, la lutte contre le virus, les décès

La solitude des mourants, les appels des familles, les interdictions de visites, les adieux par face time, les larmes au téléphone, les derniers mots, nos visages,

109 patients

On se sent utile

Malgré l’épuisement et la charge de travail, le manque de matériel, les ruptures de stock, la pénurie de médicaments, les locaux inadaptés, les combinaisons dans lesquelles on crève de chaud

On a transpiré comme jamais,

On n’a pas baissé les bras, on est allé de l’avant, on s’est organisé, on s’est réorganisé, on s’est adapté chaque jour,

Toujours en faire plus, ne pas baisser les bras, on était à fond.

L’entraide est devenue une force, le rire une thérapie

Les cadres de proximité, les collègues, les médecins, les IADE nos anti-stress, les IDE, les logisticiens, les sourires même derrière les masques, la solidarité nationale, les remerciements nous ont aidé à tenir.

Les encouragements nous ont re-boosté.

On était une super belle équipe, on sentait l’écoute des supérieurs, des médecins, les cadres étaient des piliers.

Former des nouveaux arrivants rapidement, donner confiance aux gens de province, encadrer les ESI

On a pu y arriver grâce à l’équipe,

On n’était jamais seul, on s’est donné de la force.

On s’est tous effondré mais il y avait toujours quelqu’un pour nous relever.

On a pleuré, on a ri, on a tout donné.

Pour encaisser les décès, la lourdeur des prises en charge, les dégradations rapides de l’état des patients, pour soutenir les familles désemparées.

Et puis il y a eu l’espoir, les patients qui sortent de la réanimation, ce papa qui survit pour la naissance de son 3èmeenfant

Entre nous on se ressourçait, on retrouvait la bonne humeur, une main toujours tendue

Les déjeuners en commun sur la dalle, dans un silence de plomb, il y avait parfois un rire qui fusait

La chaleur humaine

Tout le monde était content de venir travailler.

Avec bienveillance, écoute, équité.

Ensemble on a réduit la peur, on a surpassé nos peurs.

Cette expérience a été une leçon de vie.

Beaucoup de fatigue, on est sur les rotules, on sent le coup de déprime.

Difficile de décrocher. Difficile d’en parler. Difficile de revenir à la vie d’avant.

On était tellement bien ensemble qu’on voulait rester même si c’était fermé.

La fermeture on l’a pris en pleine face, déboussolé, perdu.

C’est allé tellement vite qu’on n’a pas vu le temps passer.

Ça a donné un sens à notre métier, on s’est réconcilié avec la profession, une renaissance.

On a retrouvé le soin, on a pris soin de l’autre

On pourrait le refaire, on saurait s’organiser mais on ne voudrait pas revoir ce qu’on a vu, on n’est pas imperméable à la tristesse

On a découvert nos forces, on a découvert notre courage.

Fierté.

On l’a fait ensemble.

Et après, et demain

Besoin de se reposer, de prendre des congés, de passer du temps avec sa famille qu’on n’a pas beaucoup vu

Profiter de la vie

L’envie de ne plus repousser à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui

Continuer à se développer

Se réaliser, se former, organiser un séminaire, actualiser les procédures

Partager, transmettre ses compétences, donner confiance aux autres

Valoriser le bien-être au travail

Dire ce qu’on a sur le cœur

Avoir des projets

Toujours regarder plus loin

Se sentir pousser des ailes.

 

Témoignage collectif de la crise du Covid 19 – Service Réanimation Hôpital Beaujon –Juin 2020

 

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Séquence 2 : La réalisation d’un arbre de vie géant de l’équipe documenté autour de 3 questions principales.

Pourquoi avons-nous choisi ce métier ? 

Quelles sont nos qualités ?  Chacun adresse une qualité dont il a été témoin pendant la crise à une ou plusieurs personnes du groupe et explique pourquoi.

Quels sont nos espoirs pour demain ?

La reconnaissance s’exprime sur la place prise par chacun au sein du groupe, sur ses qualités professionnelles, sur l’attachement partagé au métier et à l’hôpital. C’est aussi l’occasion de se reconnecter pour chacun au sens de leur métier, de leur engagement, de raconter des histoires intimes, de se découvrir, de se projeter dans l’avenir. L’arbre constitue aussi une documentation graphique qui leur a été offerte en fin d’accompagnement. 

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Le groupe est sollicité pour décider du public à inviter à la cérémonie de reconnaissance : l’étape finale de notre dispositif. Assez rapidement, les propositions d’invitations arrivent aussi diverses que le Directeur Général, leur ancienne chef de service, et puis : un journaliste, la voisine qui nous faisait des cookies, un patient … 

 

Séquence 3 : La cérémonie définitionnelle que nous décidons de nommer « Cérémonie de la reconnaissance ». 

Chacun des soignants de l’équipe s’exprime seul debout face au public, en racontant un moment d’émotion et de prise de conscience vécu pendant la crise.

Cette expression se fait de manière très spontanée l’un après l’autre sans ordre préétabli, elle donne lieu à de nouveaux récits très représentatifs de leur engagement à essayer de sauver les malades, à les prendre en charge en relation avec leurs familles malgré les contraintes nouvelles des règles de sécurité. Des récits de leurs peurs aussi les mettant face à nous dans la pleine expression de leur courage, de leurs peurs et d’humanité. Des applaudissements concluent chacun des témoignages.

Un acteur de théâtre lit le texte de leurs témoignages s’adressant ainsi face à leurs auteurs, une façon d’honorer leur courage et leurs forces et aussi d’externaliser leurs souffrances. 

S’agissant du public, si toutes les personnes sollicitées n’ont pu être présentes, d’autres se sont ajoutées. Ainsi sont réunis : une journaliste de France-Inter, un photographe, des représentants de la direction de l’hôpital, les psychologues du service, d’autres professionnels …et un patient qui avait passé 6 semaines inconscient dans le service. Il s’exprime en dernier, il dit sa peur de revenir dans ce lieu, et son contentement d’être là pour eux et de participer à cette cérémonie.

Le public est sollicité pour réagir en suivant un questionnement précis et orienté par le guide du témoin extérieur, l’intention n’étant pas de faire un simple feed-back mais bien de partager en quoi ces récits résonnent personnellement avec l’expérience de ces soignants.

La participation de France Inter, l’enregistrement de toute la cérémonie a donné de l’importance à ce moment et a en assuré la démultiplication.

https://www.franceinter.fr/info/la-peur-la-solidarite-l-humanite-quand-des-soignants-temoignent-de-la-crise-covid-a-leur-direction

Emission grand angle en date du 9/07/20 

https://www.franceinter.fr/emissions/grand-angle?p=2

 

La remise d’un diplôme avec les noms et qualités de l’équipe « à valoir pour qui de droit » a permis de matérialiser le souvenir de cette cérémonie. 

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Ce que nous avons appris de cette démarche dans ce contexte :

1°) La spécificité des liens qui se sont créés pendant la crise

Face à l’inconnu la solidarité entre professionnels et l’attachement aux valeurs humaines des métiers du soin reprennent toute leur place.

Les récits de la crise COVID disent à la fois la gravité de la situation et la solidité de l’engagement des professionnels pour l’affronter. Cette crise sans précédent (en durée, en ampleur, et en visibilité) a fait disparaître les clivages professionnels habituels des personnels hospitaliers, elle a rendu visible dans toute la société le travail des soignants, et a suscité une mobilisation collective impressionnante.

2°) La puissance de la "reliance"

Nous avons appréhendé la reconnaissance comme une dynamique d’écoute puis d’amplification des histoires individuelles et collectives au-delà du seul aspect hiérarchique. Il ne s’agit pas de remercier, il s’agit de partager ce qui a été fait, ce qui a été vécu, de se redire les valeurs qui nous relient. Notre but était bien de faire vivre au groupe une expérience de reconnaissance entre eux puis avec les témoins, et enfin auprès du grand public.

3°) La frugalité du dispositif

Au total, trois rendez-vous d’environ 2 heures ; le dispositif nécessite certes beaucoup de préparation mais peu d’intervention. Cela constitue une vraie opportunité pour le déployer plus largement. Un autre groupe est d’ailleurs en cours d’accompagnement à l’hôpital Saint Louis à Paris.

4°) L’intérêt de la documentation 

Les différentes documentations élaborées au cours de la démarche avec les mots des participants permettent à la fois de mettre à distance, puis de valoriser les personnes et leurs histoires. 

5°) La force du rituel de la cérémonie

Un grand moment de partage et, pour tous, le moyen d’honorer le collectif, et de marquer la fin d’une période, de le célébrer.

 

Laurence Sarton et Anne-Sophie Michel

Le 14 août 2020

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arbre narratif
diplome narratif
Pratiques narratives et cérémonie de la reconnaissance

Une sortie sur le torrent

des Pratiques Narratives

Stéphane, praticien narratif, a souhaité suivre notre Pastille Découverte du 5 octobre dernier pour "se rafraîchir les pratiques" de l'approche narrative. Il nous a généreusement partagé ses ressentis à l'issue de sa journée. Nous l'en remercions.

 

Muni de mon beau casque rouge, je suis arrivé un peu anxieux à cette sortie sur le torrent des Pratiques Narratives. 

Cette balade fut pour moi une redécouverte, du canyoning sur un torrent des Alpes dans une ambiance ouatée tant le climat doux et très bienveillant qui régnait, rimait avec mon sentiment d’isolement lié à ma vue obturée du moment. 

Tantôt je ressentais un besoin d’aide pour accentuer ma progression, Laurence ou Isabelle, avec élégance, brio, tranquillité et tact venaient me remettre sur la trajectoire glissante du processus, tantôt, un fantôme me rappelait les risques de retournement et là, avec douceur et encouragements je fus toujours rassuré par mon partenaire de dyade ; nous formions toutes et tous une si belle équipe solidaire et volontaire. Un grand merci à chacune et chacun, sans vous, toutes et tous, j’aurais pris froid pour le reste de l’hiver !

Je ressors de cette expérience avec un sentiment mêlé de grande joie d’avoir passé un moment merveilleux d’apprentissage et de rencontres mais un peu triste de me rendre compte que pour éviter, à l’avenir, les giclettes d’eau glacée et le renversement sur un des rochers du processus, j’avais l’obligation d’apprendre à mieux maîtriser la technique et mieux percevoir la subtilité de l’évolution courant. 

Mais, au-delà de la crainte, quelle belle sortie, quelle merveilleuse journée ensoleillée sur le torrent de l’Approche Narrative, de magnifiques rencontres. 

Un très grand merci à nos accompagnatrices pour leur maîtrise du parcours, leur sérénité et l’esthétisme avec lequel elles surent nous faire naviguer sur ces eaux si mouvantes, merci à toute l’équipe pour l’esprit insufflé. 

Avec conviction, j’ai décidé de reprendre une embarcation mercredi 13. Vive le mouvement ! 

 

Stéphane Massard

Coach, praticien narratif et accompagnant de managers en santé

Les partages de Lamia Berrada

Écrivaine et praticienne narrative

Tout ce que je rencontre

devient partie de moi.

À vous, tous, que vous le sachiez ou non,

qui êtes venus flâner dans le tissu de ma vie et

qui en êtes ensuite ressortis :

vous m'avez laissé une part temporaire

dont je ferai quelque chose.

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Sylvia Plath - Journaux

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Une autre justice chez les Babemba 

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Chez les Babemba d’Afrique du Sud il existait – jusqu’à ce que les Blancs viennent les « civiliser » -une pratique étonnante pour corriger ceux qui commettaient des fautes graves.

L’individu concerné était placé au centre du village, seul et sans être attaché. Tout travail cessait, et chaque femme, homme et enfant du village se réunissait en cercle autour de l’accusé. Alors chaque personne dans la tribu, sans égard pour son âge, commençait à parler à voix haute à l’accusé. L’un après l’autre, chacun rappelait toutes les bonnes choses que la personne au milieu du cercle avait fait de son vivant.

Chaque expérience, chaque incident pouvant être remémoré avec quelque détail ou précision était rappelé.  Tous les attributs positifs de la personne, ses bonnes actions, ses forces ou ses gestes de gentillesse, étaient récités longuement et avec une grande attention. Personne n’était autorisé à fabriquer ou exagérer quoique ce soit, ou à plaisanter sur les réalisations ou les aspects positifs de sa personnalité.

La cérémonie tribale durait souvent plusieurs jours et ne cessait pas avant que chacun eut épuisé le moindre commentaire positif qui pouvait être remémoré concernant la personne en question.

Quand la cérémonie était terminée, le cercle tribal était rompu, une joyeuse célébration prenait place et la personne était symboliquement et littéralement  accueillie à nouveau dans la tribu.

Suggestion à mes amis enseignants : quelque chose de similaire serait-il concevable dans certaines de vos classes ?

 

Avec l'aimable autorisation de publication de Pierre Pradervand, citoyen du monde, docteur en sociologie et défendeur de valeurs profondément humanistes. Source de son texte original  : blog "Vivre Autrement" 

Les partages de Jocelyn Phelps

Coach et praticienne narrative

Spécialiste en ressources humaines et développement des organisations

Multi-culturelle, Américaine en France

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Après vous avoir dit au revoir... 

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Arrivés à la fin de notre formation aux pratiques narratives, libérés (ou éjectés) de cet univers d’exploration intense, nous sommes nombreux à nous être dit : « Et maintenant, j’en fait quoi ? » Formée tout récemment, j’ai retrouvé dans ce questionnement deux compagnons de route très familiers qui ont voulu, chacun à sa façon, m’aider à répondre à cette question. 

Miss Perfectionnisme Protectrice (Miss PP pour ses amis) aurait souhaité que je m’applique à m’entraîner afin de maîtriser parfaitement les gestes du Praticien Narratif Averti avant de me lancer avec des clients – si ces outils existent, c’est bien pour que nous nous en servions sérieusement ! 

Little Nemo (ancêtre de la Petite Nemo que vous avez rencontrée sur Netflix), quant à lui, savait que de toute façon il allait se trouver embarqué dans quelque chose qu’il n’avait pas complètement choisi, et que malgré ses meilleurs efforts, il n’arriverait pas à respecter vraiment le cadre : ça va secouer, et il finira par se réveiller en sursaut, avant de tomber du lit.

Flanquée par ces deux personnages, j’ai reçu une « commande » d’animation qui se prêtait à des exercices de pratique narrative. C’est super, me dis-je, l’occasion de me replonger dedans, ce dont on a besoin quand la formation commence à s’éloigner ! Le seul hic : il s’agissait de faire travailler un groupe, en un temps assez limité. Miss PP n’était pas d’accord, car je n’avais été formée à aucun outil permettant de mener un tel exercice en équipe. Mais elle a rapidement remarqué que je pouvais tenter d’en faire quelque chose d’exceptionnel, de bluffer tout le monde avec une belle pirouette … et donc elle a donné son autorisation à mener l’expérience.

Quant à Little Nemo, il a été philosophe : « Si je me trouve embarqué dans cette aventure, c’est que le sens de cette rêverie va finir par émerger ; et si nous nous embarquons à plusieurs, peut-être qu’on me rattrapera avant que je ne tombe du lit ! » 

Pour cet atelier j’ai choisi de faire une cartographie de déclaration de position autour d’une « initiative qui s’est plutôt bien passée ». Au fil de la préparation, ma démarche m’a paru de plus en plus bancale :  les participants n’avaient aucune sensibilisation aux pratiques narratives (à part quelques minutes d’explication de ma part) ; ils n’étaient ni coaches, ni animateurs. Ils formaient tout juste une équipe, ou plutôt un collectif d’experts, chacun s’occupant de son domaine. J’ai finalement fait le choix de les faire travailler en binômes, désireuse justement de ne pas trop mettre en exergue la nature silotée et hétéroclite de cette équipe par un exercice vraiment collectif. 

Il faut préciser qu’au moment de l’atelier, l’équipe était menacée par une réorganisation qui remettait en question sa contribution et son maintien en tant que telle au sein de l’entreprise. Pour pouvoir « lâcher » les personnes, les laisser travailler sans la supervision « experte » d’une praticienne certifiée, je me suis sentie obligée de beaucoup simplifier le langage des questions et les consignes – Miss PP était horriblement déçue, mais Little Nemo a soufflé, « Au moins je comprends ce qu’on me dit de faire ! »

Mais en fin de compte ce n’était ni à Miss PP, ni à Little Nemo, ni même à moi de juger cette expérimentation : ceux qui savent si une narration a de la valeur sont ceux qui racontent leurs histoires. Comme nous le rappelle Michael White, les personnes qui viennent nous consulter sont bien plus expertes que nous sur les thématiques qu’elles apportent. J’en ai eu à nouveau la preuve ici : cette équipe, fatiguée et légèrement « tassée » en début de séance sous le poids (pesant mais encore mal dessiné) de la future réorganisation, s’est réveillée et s’est mise à vibrer avec un doux feulement à mesure que les conversations avançaient. 

En fin d’exercice, nous n’avons rien partagé sur les contenus échangés (finalement les binômes ont offert une protection contre les imperfections de l’exercice et l’inexpérience des participants – dixit Miss PP) ; cependant en réponse à la question « que s’est-il passé dans vos binômes ? » j’ai retrouvé toute la force des individus mais aussi du collectif : « Je me suis vu en train de… » « Cela m’a vraiment permis de voir la valeur de ce que je fais … » « J’ai découvert des choses que j’ignorais concernant l’activité de mon collègue… » et aussi « Cela fait du bien de prendre le temps de s’écouter » ou « On pose des questions simples entre nous et regardez ce qui se passe ! » 

En conclusion, cette expérience m’a rappelé une vidéo de Michael White, où il répond aux questions d’un groupe de thérapeutes qui viennent d’assister à une démonstration de consultation avec une famille. On demande à White pourquoi il a fait tel choix, puis tel choix – autrement dit, prière de bien vouloir nous commenter la carte. White répond qu’il ne savait pas exactement comment il allait s’y prendre, mais qu’en cherchant, il avait fini par trouver une amorce qui semblait utile pour la famille. Ne trouvant pas la carte, il a exploré le territoire. 

Dans la préparation de cet atelier, le plus important était sans doute ma clarté concernant mon intention – de les « protéger » et de faire quelque chose de relativement carré (sous le regard bienveillant de Miss PP) et en même temps de laisser jouer ma curiosité (apportée par Little Nemo) : et si je les laissais voir combien ils sont beaux, combien il est autorisé, encore aujourd’hui, de rêver en grand ?

 

Mars 2024

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Témoignage Stéphane Massard
La boussole d'Aurore Jung
Récits de la crise COVID
Partages de Jocelyn Phelps
Le coeur brisé de M.K.
Collectif Narratif

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